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6 mai 2013 1 06 /05 /mai /2013 11:00

Chapitre 9 : Grand-papa

 

La porte s'ouvrit en grinçant. Sur le divan vert sapin qui me faisait face était allongé Grand-papa, habillé de son beau costume du dimanche, les mains croisées sur le ventre, les yeux clos. On aurait pu croire qu'il dormait s'il n'avait pas été si immobile, livide et dépourvu d'expression. Ses traits tombaient froidement, de manière si vide, si creuse, qu'ils en étaient indescriptibles. Il paraissait si raide et pourtant si détendu... Sa position n'était que contradictions. On avait envie de le laisser se reposer comme de le prendre par les épaules et de le secouer pour qu'il se réveille, sans espoir... 

Je me sentais aride, vacant, instable, calme mais enivré de sensations asphyxiantes. Sans un mot, sans une larme, sans bruit, sans envie, je m'avançai de quelques pas dans la pièce figée. Je n'étais plus qu'à deux mètres du divan. Debout, immobile tel une statue de glace, une perle d'eau salée fondue de mon oeil droit glissa malgré moi le long de ma joue rêche.

Je sentis une main se poser sur mon épaule. Je n'eus pas besoin de me retourner pour savoir qu'elle appartenait à ma mère. Une impression étrange me parcourut. Curieusement, alors que depuis une semaine, je ne désirais qu'un tel geste, il me mit mal à l'aise. Je ne voulais pas porter le malheur de ma mère, je ne voulais pas de son soutien maintenant, j'en avais eu besoin avant, j'en aurai besoin plus tard, mais pas maintenant. Je devais traverser cette épreuve seul. Pour échapper à son étreinte, je m'assis par terre, toujours sans quitter Grand-papa des yeux. Elle ne réagit pas.

Nous restâmes quelques minutes ainsi, sans bouger, sans parler. Au bout d'un temps que je ne saurais définir, je me relevai et m'approchai un peu plus du corps de mon grand-père. Je posai délicatement ma main sur la sienne. Elle était très froide et très ridée. Ma mère sortit doucement de la pièce, si bien que je me retrouvai seul, une main posée sur le cadavre de mon grand-père. C'était assez impressionnant comme émotion...

Je ne sais pas combien de temps je suis resté là, un quart d'heure, une demi-heure, une heure... Le temps s'était arrêté. Étrangement, je n'avais versé qu'une larme solitaire. Je sortis calmement de la petite chambre, refermai la porte derrière moi et redescendis à la cuisine.

Lorsque j'y pénétrai, tous les regards se tournèrent vers moi. Mon visage devait ressembler à celui qui restait paralysé, à l'étage. Je ne dis rien, je vins juste me rasseoir à la table. 

« On n'a pas voulu te déranger... » marmonna mon père.

Je hochai de la tête. Pourvu qu'il ne me demande pas comment j'allais, sinon, j'aurais pu éclater en sanglots à tout instant. Ma mère avait le regard vague, elle baissait les yeux. Elle non plus, il ne fallait pas qu'elle dise quoi que ce fut... Il y eut un silence, long, profond. Puis Paul se leva à son tour et souffla :

« Bon, j'y vais...

- Je viens avec toi » enchaîna ma mère.

Ils sortirent tous deux de la cuisine. Moi, je continuais à regarder mes mains. Je n'avais rien à dire. Je pensais. A quoi ? Je ne savais pas vraiment... A Grand-papa, évidemment, à mon rêve d'il y avait deux nuits aussi, à Grand-mama qui se retrouvait seule, à l'enterrement... Je refléchissais tellement que je ne parvenais plus à comprendre le fil de mes songes. Je me sentais imploser, entre Hortense et Alexis qui restaient aussi muets que moi. Sentant la douleur m'échapper, je bafouillai :

« Je sors un moment...

- Je peux venir avec toi ? me demanda timidement mon cousin, qui se tenait sage comme un ange depuis le début de la matinée.

- Oui, viens ».

Nous sortîmes dans le jardin que rasait la douce lumière du matin. L'air fleurait bon l'humidité de l'herbe et la fraîcheur des arbres. Il était agréable de respirer. La petite main d'Alexis dans la mienne m'apportait un confort particulier, une forme de courage et de maturité. Je m'assis sur le petit banc de bois du jardin, derrière la maison et pris mon cousin sur les genoux.

« Il était comment, Grand-papa ? » me demanda-t-il avec beaucoup de précautions.

Je voulus lui répondre : "mort", mais ce ne fut pas ce qui sortit de ma bouche.

« Il était... calme, pâle et froid, mais... Il était... reposé... »

Il y eut à nouveau un moment de silence, comme pour renforcer mes paroles.

« Moi, je suis sûr qu'il est bien là où il est, dit calmement Alexis, parce qu'il a toujours dit qu'il ne regretterait jamais rien de ce qu'il aura fait, et puis aussi parce qu'il voulait voir les étoiles de tout près, alors maintenant qu'il y est, il peut bien les regarder ! »

Je posai les yeux sur le petit garçon assis sur mes cuisses et souris. J'aimais bien sa façon de voir les choses, cette manière de rendre les événements plus légers, moins douloureux.

« Tu voudras monter le voir, tout à l'heure ? lui demandai-je.

- Non. Il dort bien, je n'ai pas envie de le déranger ! Et puis, je l'ai vu vivant, à quoi ça sert de le voir mort ? »

Je n'avais pas de réponse. Alexis était fantastique, il était tellement intelligent ! Il réfléchissait tout par lui-même. Du haut de ses six ans, il remettait le monde entier en question. Ce fut le sourire aux lèvres que je dis :

« Allez, viens, on va retrouver ta soeur ! »

 

 

A suivre...

 

Fihuahua 

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