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31 mars 2013 7 31 /03 /mars /2013 23:07

Chapitre 8 : En famille

 

Le lendemain matin, je fus réveillé à 6h30 par mon père. Encore à moitié endormi, je m'habillai et descendis à la cuisine. Je m'assis à table et attrapai un pain au chocolat dans le paquet, ainsi qu'une pomme dans la corbeille de fruits.

Nous chargeâmes les quelques sacs que nous emportions dans la voiture. Enfin, à 7h, nous partîmes.

Pour faire passer le temps, je dormis plus d'une heure. Lorsque nous arrivâmes à Payrac, et que nous sonnâmes chez ma grand-mère, il était 9h et le village s'éveillait à peine.

Elle nous ouvrit le portail, nous nous garâmes et entrèrent dans la maison. Un odeur m'envahit le nez. Une odeur très singulière et propre à cet endroit. Elle sentait le vieux bois, les meubles, le thé, la campagne, l'herbe, l'horloge à pendule, et surtout, pour moi, cette odeur, c'était celle de ma grand-mère. A chaque fois que je venais ici, je prenais de grandes inspirations en arrivant dans l'entrée, comme pour pouvoir emporter un peu de cet endroit, qui avait un aspect magique, lorsque je repartirai.

Bien que rien n'ait changé depuis la dernière fois que j'étais venu, la maison semblait différente. Il y avait comme un grand vide, le même que celui que j'avais au creux de l'estomac depuis quelques jours, et je voyais bien à la tête de Grand-mama que même si l'apparence était inchangée, le coeur de toute notre tristesse se trouvait ici, même s'il ne battait plus, même si son âme était partie. Je savais que le corps de Grand-papa reposait encore dans ce lieu qu'il avait connu il y a bien longtemps, lorsqu'il s'était marié avec Grand-mama. Il m'avait toujours dit, depuis que j'étais petit, que lorsqu'il mourrait, ce serait dans cette maison. A l'époque, je n'y croyais pas, j'étais trop petit, et à trois ans, je ne me rendais pas encore compte que les personnes que l'on aime ne sont pas éternelles.

Grand-mama nous fit entrer dans la cuisine, sur la droite, sans un mot. Je fus quelque peu surpris d'y trouver, assis sur des chaises, mon oncle Paul, ma tante Cyrielle, mon petit cousin Alexis et ma grande cousine Hortense, ce qui était pourtant normal puisque Grand-papa était aussi le père de Paul. Tout le petit monde présent dans la pièce affichait un air morose et il était très difficile de ne pas pleurer. Finalement, Paul, le frère de maman, parla le premier :

« Bonjour Anne, ça va ? Tu tiens le coup ? Et toi mon petit Léo, ça va ? Pas trop dur ? Tu as réussi à quitter ton travail aujourd'hui Alexandre ? »

Nous répondîmes tous par un hochement de tête, très peu convaincant. Je m'avançai vers mes cousins et leur fis un petit sourire en coin. Alexis qui avait quatre ans de moins que moi, m'entoura la taille (ou plutôt les jambes) de ses bras et je lui mis une main dans le dos. Hortense, qui elle, avait treize ans et me dépassait de quinze bons centimètres, se joignit à nous et nous entoura de ses bras. J'avais toujours été très proche d'elle, malgré notre différence d'âge. Je sentis une petite goutte me tomber sur l'épaule et malgré moi, des larmes coulèrent de mes yeux et vinrent s'écraser sur les cheveux de mon cousin. Cyrielle avait pris la main de Grand-mama et lui disait doucement : "Ne vous en faîtes pas Henriette, c'est un rude moment, mais ça va passer, vous verrez". Je voyais bien que Grand-mama serrait les dents pour s'empêcher de pleurer et elle hochait machinalement la tête en guise de réponse à sa belle-fille, car incapable de parler. L'atmosphère était lourde, pesante et inconfortable. Pour rompre un silence devenu insoutenable, Grand-mama dit :

« Allez, venez tous autour de la table, je vais vous faire de bons chocolats chauds pour vous ravigoter.

- Je vais t'aider, maman » enchaîna ma mère.

Personne n'avait froid, mais on ne refusa pas, sachant que le temps serait long jusqu'à l'enterrement de cet après-midi...

Je m'étais assis sur une chaise, entre Alexis et Hortense. Grand-mama posa des tasses pleines de chocolat chaud fumant au centre de la table et à ce moment là, je me souvins que j'avais la bougie à la rose dans mon sac. Je m'excusai et me levai de table pour aller la chercher près de la porte. Je la sortis d'entre ma chemise noire et mon t-shirt de rechange où je l'avais mise pour la protéger, et la mettant derrière mon dos, m'approchai de Grand-mama et lui donnai en disant :

« Tiens Grand-mama, c'est pour toi. Je sais que tu aimes beaucoup la rose. »

Ma grand-mère prit la bougie entre ses mains, la regarda longuement et me répondit :

« Elle est très belle mon grand. Mais il ne fallait pas ! »

Je lui souris et me rappelai que je ne l'avais pas payée. Je me promis de réparer cette erreur une fois rentré à Nieul. On me regarda tendrement, comme si j'avais donné à Grand-mama une rivière de diamants. Il n'était rien de cela, mais ce présent semblait toucher tout le monde.

Nous bûmes nos chocolats chauds sans un mot. A vrai dire, personne n'avait vraiment envie de parler. Ce fut Cyrielle qui rompit ce long silence lourd :

« Et sinon, comment ça se passe à Nieul ?

- Oh, rien de bien particulier. La routine, quoi... répondit mon père.

- Tu travailles toujours à Limoges, Alexandre ? questionna mon oncle.

- Oui, oui. Tu sais, il n'y a pas grand chose à faire, au village. Si tu n'es pas boulanger/pâtissier ou boucher/charcutier, tu peux rester chez toi !

- Et vous, à Paris ? Ça va aussi ? demanda soudainement ma mère.

- Oh ! Euh, oui, enchaîna ma tante. Il n'a pas fait très beau ces derniers temps, mais sinon ça va...

- Et vous les enfants, continua ma mère, vous êtes en quelle classe maintenant ?

- Moi, je suis en 4e, répondit Hortense, et Alexis est entré en CP cette année.

- C'est vrai ! s'exclama Grand-mama. Déjà... Félicitations mon grand ! Et tu t'en sors bien ? Tu as des bonnes notes ?

- Voui, marmonna doucement Alexis. Ça va. La maîtresse m'a dit que je travaillais bien et que je faisais des progrès et puis la directrice nous a donné nos bulletins du deuxième trimestre la semaine dernière et elle m'a félicité. Dessus, il y a marqué que j'ai 8.5/10 de moyenne et en plus il n'y a que des A et des A+ dans les petites cases ! »

Alexis avait dit ça très fièrement et avec une grande assurance. Il m'avait toujours étonné pour sa facilité à parler. Ses phrases étaient grammaticalement correctes, les syntaxes aussi et dans l'ensemble, je trouvais qu'il employait un vocabulaire très recherché pour un petit de six ans ! Au fond, peut-être que je le jalousais un peu, moi qui n'avais réussi à parler sans peur qu'arrivé en CE2, et encore, même à présent, il m'arrivait souvent d'être réticent à prendre la parole en public.

Tout le monde le regardait avec attendrissement et Grand-mama lui dit en souriant :

« C'est très bien, mon chéri ! Tes parents peuvent être fiers d'avoir un petit garçon comme toi ! Et toi Hortense ? Tu ne m'as pas dit, ça se passe bien la 4e ?

- Oui, pas trop mal. On m'avait dit que ça serait plus dur que la 5e, mais en fait, je ne vois pas trop de changement. C'est vrai que les notions abordées sont plus complexes, surtout en maths, mais c'est normal en même temps, on avance. J'ai 16.9/20 de moyenne générale et je crois que ma prof d'Histoire/géo, en particulier, a une bonne impression de moi.

- C'est super tout ça ! Tu n'étais pas déléguée de classe ?

- Non, pas cette année, je l'ai été l'année dernière, mais avec toutes les embrouilles qu'il y a eu dans la classe, j'ai préféré ne pas me représenter cette fois-ci. Ce n'est pas pour moi, comme travail, j'ai trop peu de caractère. Pour les autres, je ne suis que la fille qui a de bonnes notes et qui se contente de ce qu'elle a. Ce qui n'est pas tout à fait faux d'ailleurs. Comme déléguée de classe, ça passait en 5e, mais plus en 4e, alors je n'ai pas pris le risque ».

Grand-mama hocha de la tête et, se retournant vers moi, me demanda finalement :

« Et toi Léo ? Tu ne dis rien, ça se passe comment à l'école ? Tu es en CM2 je crois.

- Oui. Je ne m'en sors pas si mal, je crois. Mes notes tournent entre 14 et 20/20, alors ça va. J'ai eu un petit coup de mou ces derniers temps. Enfin, depuis lundi, balbutiai-je à demi-mot. Mais j'ai de bons copains et copines, alors ça passe mieux. Je crois que c'est ce qui me fait tenir en ce moment... »

Il y eut un silence pesant pendant quelques secondes et j'enchaînai alors, pour dissiper le trouble que j'avais installé :

« Mais la maîtresse nous prépare bien à la 6e, même si tous les adultes nous mettent la pression en nous répétant sans cesse que ce que l'on fait cette année, nous ne pourront pas le faire en 6e et tout le baratin. Mais bon, je ne m'en fais pas trop. Je sais que ça va forcément être plus dur, mais je m'y fais petit à petit. La seule chose qui me fait un peu peur, c'est le fait de devoir aller à Limoges au collège. Je trouve que ça fait un peu loin.

- Ne t'en fais pas, ça ira, avec le bus. Tu vivras de nouvelles expériences ! » me répondit Grand-mama, sans prêter attention au bref moment de trouble.

Finalement, comme nous n'avions pas spécialement envie de parler ou de faire semblant de contourner le sujet, Paul aborda ce que nous redoutions tous un peu plus les uns que les autres : l'enterrement.

Il fut dit que nous passerions d'abord à l'église, car Grand-papa était catholique, puis il y aurait un cortège jusqu'au cimetière. Il y aurait assez de monde car il connaissait presque tout le village et chacun voulait lui rendre un dernier hommage. Personne n'a pleuré, je crois que nos yeux étaient trop secs d'avoir tant déverser de larmes pour l'instant. Mais je savais que les sanglots reviendraient dans l'après-midi.

Puis Grand-mama se leva et nous demanda si nous voulions monter voir Grand-papa, qui avait été étendu sur le divan de la petite chambre. J'hésitai. Je ne voulais pas le voir ainsi : mort, inerte, froid, livide, les traits sans expression... Je voulais garder ce souvenir de lui, rieur, sage, si doux, avec son visage qui présentait presque toujours un sourire attentif, avec ses mains qui tremblaient un peu quand il tenait un tournevis ou une tasse de thé, ses yeux noirs impénétrables mais si chauds, si captivant, ses petites lunettes rectangulaires au milieu de son nez, qu'il mettait pour lire, sa voix claire, souple, ensoleillée par tous les temps, ses bons conseils... Tout... Je ne voulais pas que ce souvenir soit brouillé par la vision de son cadavre. Pourtant, il me semblait que le regarder encore une fois, sans peur, sans honte et sans gêne était la moindre des choses que je pouvais faire pour lui, maintenant qu'il était parti... Rien ne pouvait me le faire oublier, de toute façon, alors autant le voir une dernière fois, tant qu'il n'était pas encore sous terre...
Je me levai en premier et me dirigeai vers la porte de la cuisine. A droite, je montai les 
vieux escaliers de bois, me tenant d'une main moite et froide à la rampe grinçante. J'entendis quelqu'un me suivre. Je ne regardai pas en arrière, un rien ayant pu me faire renoncer. Je sentais déjà ma gorge se coincer de nouveau. 

Arrivé en haut de l'escalier en collimaçon, je tournai vers la porte de gauche, fermée. Je pris une inspiration et appuyai sur la poignée.

 

 

A suivre...

 

Fihuahua 

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